Lettre à ses confrères

Du serment d’Hippocrate au "trabendo" médical,

Nous sommes tous coupables ! Devenue un immense terrain vague où l’angle droit vaut à peu près quatre vingt dix degrés, l’Algérie se meurt. En quarante ans d’indépendance, le pays, dans sa liquéfaction intégrale, s’est noyé dans un « concept » que ni les linguistes ni les sociologues, encore moins les philosophes n’arrivent à cerner : le (trabendo). Nouvelle pratique mercantile, état d’esprit ou référent idéologique, la pollution est grande et l’épidémie ne cesse de progresser. Du petit marchand de cigarettes au médecin en passant par les fonctionnaires, chacun y va de sa technique trabendiste en se trouvant, le cas échéant, des circonstances atténuantes.
Quand le boulanger n’aime plus la farine, le député n’aime plus le peuple, le médecin n’aime plus les malades, c’est que nous croulons sous les décombres de nos propres ruines et nos fossiles n’intéressent même plus les archéologues. Le pays à vau-l’eau, mais au-delà de la situation générale qui prévaut, (crise multidimensionnelle qui n’est en fait que la conséquence d’une ghettoïsation programmée de la société afin de la soumettre), le corps médical et tous les professionnels de la santé, dès lors qu’ils ont un impact vital sur la société, doivent se moraliser en urgence, étant entendu que leur but est au maximum de soigner et au minimum de ne pas nuire. Le code de la déontologie doit être enseigné aux étudiants avec un soubassement culturel, éthique et esthétique inspiré des valeurs universelles. A ce titre, le conseil de l’ordre doit servir de garde-fou à la dérive à laquelle nous assistons aujourd’hui sans toutefois être ni une chapelle qui prône le sacerdoce, ni une tribune politique à des fins inavouables, sinon il risque d’être au pire une secte et au mieux un syndicat. Au demeurant les problèmes étant facilement identifiables et d’une telle gravité, qu’il doit sévir avant que ne sévisse la justice.
Nous avons eu des professionnels par décret, des fetwa pour la greffe d’organes, une union médicale qui ressemblait plutôt à une organisation de masse, une formation médicale au rabais, un zoning, une taxe sur les valeurs, le tout baignant dans un système de santé bicéphale qui a plus tendance à se neutraliser qu’à se compléter. Ce faisceau de légèretés à eu pour conséquences la production d’un système de santé hybride qui, la crise aidant, a tendance malheureusement, à glisser plus vers la délinquance que vers la science. Nos hôpitaux sont nos miroirs, en plus des nuisances extérieures que la simple morale doit condamner, l’intérieur n’est guère mieux. Les étudiants font de la contemplation devant les malades tandis que certains de leurs aînés font du braconnage en direction des cliniques privées dont certaines sont à la médecine ce que la derbouka est à l’orchestre symphonique.
Qu’allons nous transmettre à nos enfants ! Mais en attendant l’intervention des ponts et chaussées pour réguler les panneaux et autres flèches d’indication des médecins, en attendant d’avoir des redressements de compétences avant les redressements fiscaux, en attendant de trouver une structure de santé qui ne ressemble pas à un mouroir, en attendant de trouver un médecin qui clone autre chose que le dinar, en attendant d’homologuer le pneu comme autodidacte contre le mauvais œil, en attendant qu’une hirondelle fasse la printemps, parlons sérieusement : Ibn Imran a été tué par un de ses patients, Pasteur a testé le vaccin sur sa propre personne. Ecce homo ! Eux ont posé les jalons et nous, nous avons perdu les repères.
A l’heure de la thérapie génique, de la télé chirurgie, du clonage, nous n’avons même pas l’intelligence primaire de copier ce que les autres ont fait de bien. Dans un environnement aussi malsain où l’illicite devient licite, où la mort est banalisée, les mythes cassés, le crime absout, les symboles piétinés, dans cette totale décomposition, il serait illusoire de proposer une thérapie à un secteur fusse-t-il celui de la médecine sans agir de façon salvatrice sur l’ensemble des secteurs, qu’ils soient en aval ou en amont car si la médecine est malade de ces médecins, les médecins eux-mêmes sont malades de leur environnement. La résurrection de la médecine, du médecin en tant que scientifique dans son exercice et en tant que sage « Hakim » dans l’imaginaire populaire, passe nécessairement par une prise de conscience collective. Dans un pays où tout est soumis à la surenchère, peut-on encore demander au médecin de rester médecin et à Dieu de continuer à sauver les malades ?
Djaffar Messaoudi

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