Préambule par Djaffar Messaoudi

En lisant ces hommages que j’adresse à de chers disparus, n’allez pas croire que j’ai des penchants morbides. La raison est autre, car d’ici quelques dizaines années la mort deviendra un état provisoire.
Explication :
En plus de nous soigner, la médecine moderne a désormais les capacités de nous indiquer chaque fois notre date de péremption et en cas d’erreur de casting, l’euthanasie viendra à la rescousse. Je prévois que d’ici moins d’un siècle le clonage et la cryoconservation nous donneront la possibilité de vivre ou de mourir a la carte, ce qui rendrait ces hommages inutiles et la science fiction deviendra la science tout court.  « Ya hafidh »

LES CENT-JOURS DE BELAID

Sur le canapé rouge ou dormait la vestale
Face à la fenêtre en position fœtale
Dehors le vent hurlait son champ automnal
Comme s’il devançait la nouvelle fatale

Un soir d’encre tombait sur nos âmes usées
Des nuages au rictus ressemblant à des diables
Semblaient annoncer une nouvelle incroyable
Tandis qu’à l’horizon le soleil s’est brisé

Une chouette hululait comme un mauvais présage
En chacun de nous l’espoir s’amenuisait
Une atmosphère lourde renvoyait un message
Les lèvres chuchotaient les regards se croisaient

Pourvu qu’il ne sonne point le téléphone maudit
Que le jour se lève que finisse ce samedi
Ou que le temps s’arrête que le miracle soit
Pour que cette nuit là le malheur sursoit

Tout à l’heure attablés autours du repas
Nous scrutions Sara nous attendions l’oracle
Se peut-il qu’elle détienne dans ses mains le miracle
Ou que nos prières éloignent le trépas

Cela fait cents jours que dure la douleur
Enfouit dans son corps comme une veuve noire
Ce corps déjà meurtri a changé de couleur
Toutes les thérapies s’avéraient illusoires

Dans ce regard hagard  dans ces yeux mi-clos
Ce corps qui se tordait et ces gémissements
Personne n’ose parler ou n’ose dire un mot
Puis soudain un soupir un apaisement

Infirmiers et médecins blouses blanches effarés
Les regards questionnant puis les têtes baissées
Aucune piste ne s’ouvre pour nous éclairer
L’échec de la médecine ses limites avérées

La douleur d’une sœur à ses lèvres pincées
Ses doigts qui se croisent comme tétanisée
Une caresse au menton un baiser sur la joue
Une larme qui tombe sur le front acajou

Quand tout semblait perdu on se disait tout bas
Il faut chercher remède à Alger à Kouba
Nous irions s’il faut au-delà de la mer
Joindre à leur science nos profondes prières

Au dessus du village domine le cimetière
En face la montagne étale sa crinière
La tombe toute fraiche en contre bas du père
Entre deux figuiers à gauche de la mère

Le corps sur une civière les gens alentours
L’imam bien campé entonne l’oraison
L’Adhan fusa soudain se joignant à son tour
A la mélancolie qui sied à la saison

Quand la mise en terre fut enfin accomplie
Que les dalles froides fermèrent le caveau
Un enfant prit le linge et sous son bras le plie
Les pelletées de terre recouvrent le tombeau

Vas frère que les anges t’accueillent
Tu laisses des enfants une famille stoïque
Tu es là où il n’y a ni douleur ni écueil
Te délestant enfin de ta vie chaotique

Même si tu es parti même si tu n’es plus là
Il y a ton souvenir le bien que tu fis
J’entends déjà le rire du petit Khelifa
Qui joue avec sa sœur qui sautille et qui rit

Tu t’es fait trop de bile la bile t’a inondé
Tu étais disponible toi le bon infirmier
Combien tu as soigné combien tu as aidé
Tes nuits blanches si nombreuses pourraient en témoigner

Il était vingt trois heure le téléphone sonna
Tel un couperet la nouvelle est tombée
L’envie de te sauver personne ne l’a freina
Celle qui t’a soigné partie d’une enjambée

Cet ultime instant quand ton cœur a flanché
Qui à ton chevet pouvait le confirmer
Dire que tu es mort qu’il faut te débrancher
Que ta vie a cessé que la scène a fermé

Ces cent-jours pour tous ont été un calvaire
De ton foie meurtri ton corps avait souffert
Tu es mort en automne la couleur de l’ictère
Comme si tu craignais de mourir en hiver

Quelques flocons de neige saupoudraient la vallée
Le cortège va rentrer te laissant derrière lui
La vie continue Belaid s’en est allé
Fini les cent-jours et fini les cent-nuits

A la mort de ton père quelle vie d’orphelin
Quand ta mère à son tour s’en alla le rejoindre
Tu te retrouvas seul trahi par le destin
Qui donc te disait que tu n’as rien à craindre

Ce que nous pouvons dire ce que nous pouvons faire
Cet hommage pour toi reste insignifiant
Tu as le même sort que mon frère Nacer
Votre vie votre mort servira de leçon

Demain j’irai pleurer sur vos tombes tous les deux
J’irai vous arroser de larmes que j’ai enfouis
J’irais à pas feutrés sans faire trop de bruit
Je suis déjà trop las  je suis déjà trop vieux.

Djaffar Messaoudi Décembre 2012


HOMMAGE à Da l’HOCINE TOUM

Militant de la cause nationale, militant du savoir, un double combat et une vie utile que la mort ne pourrait effacer.

Altier il traversait le village nonchalant
Regardait le ciel ou scrutait l’horizon
Sans doute parlait-il à Homère ou Platon
Ou alors riait-il des pierres et des santons

Celui qui très tôt s’est lancé dans l’arène
Prenant les armes à feu puis troqua au crayon
Guerrier à l’heure de gloire au cœur de la géhenne
Quand les armes se turent il devient enseignant

En cette fin d’hiver là-haut sur la Coline
En face du Djurdjura et sa mélancolie
S’éteignit sans bruit mon ami Da l’Hocine
Nous laissant à nos doutes et à notre folie

Djaffar Messaoudi 18 Avril 2013


HOMMAGE A MON AMI AMEUR SOLTAN

Peu de sultans sont tombés au champ de bataille
Au champ d’honneur
Souvent leurs lames s’apprêtaient à trancher les têtes
La tienne cautérisait au profond du thorax
Au profond du médian
Là où peut être siège l’âme
Quant à leur coup de gueule
Souvent
Annonçait les razzias
Tes coups de gueule
Etaient des coups de cœur
Tu étais un sultan
Qui n’avais pas de cours
N’avais pas de palais
Tu étais un sultan
Qui avais de l’éthique
Du courage de l’amour
Lorsque dans ton thorax
A frappé le séisme
Qui explosa ton cœur
Les répliques
Se sont fait ressentir
Au profond des poitrines
De tous les malades que tu as soignés
De tous les amis que tu as aimés
Qui t’ont aimé
Sage parmi les sages
Juste parmi les justes
Médecin militant
Médecin humaniste
Pour l’éternité
Dieu te soignera

Djaffar Messaoudi Le 10/10/2013 à 19H10

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