Préface

Par Mohamed BOURAHLA écrivain


Que pourrait être la poésie ? Ce n’est pas seulement rêver court, mais je crois en peu de mots, essentiellement penser beau, peut-être un peu penser faux mais jamais laid ! C’est à notre corps défendant, accoucher au forceps d’un écrit gorgé d’odeurs, de couleurs, de musique et d’émotions qui, au travers d’un réel, transfiguré ou parfois défiguré, puisse capter et ravir la totalité de nos sens. Quand cet effluve subtil et enivrant parvient à interpeller, sans rien perdre de sa beauté, notre entendement, le poète a atteint la plénitude de son art. A ces conditions, un poète, par ces temps qui avancent à reculons, est un être rare et bizarre, il faut le chercher au microscope, un médecin poète l’est encore plus. Pas pour moi en tout cas, mon ami Djaffar qui recourt à la poésie pour emballer les cœurs, et à la médecine pour retaper les corps, est de ceux-là. Sans tambours ni trompettes, en dépit de l’esprit mercantile qui tient le haut du pavé, il est entrain de redonner vie à la gageur de toute littérature, celle d’exprimer un monde très souvent laid et opaque, par un vocable frondeur qui traduit des moments incomparables d’où jaillirent le plaisir et la douleur, les cris et les murmures, les rêves et les cauchemars. Un écrit qu’on peut lire avec plaisir sans que, toutefois, ce ne soit là un prétexte à l’abandon et à la démission. Mon ami est bien dans le monde quoiqu’en puisse dire l’écrit, la réciproque est également vraie. Cette aventure sans fin dans les registres de la beauté et de la laideur, du bien et du mal, du plaisir et de la douleur, de l’amour et de la haine confère à sa poésie un caractère violent et provocateur, pourtant la plaie que remue le scalpel tranchant de son ironie est d’abord sa propre plaie. Djaffar le dit clairement : Je n’écris ni par plaisir ni pour le plaisir, j’écris parce que j’ai mal. Il s’agit là, cependant, d’un mal propre à la condition humaine, un mal contagieux qui nous pousse à sortir de l’ornière, à ruer dans les brancards, à nous remettre en question. S’agit-il d’une lubie de désoeuvré, d’un ersatz de spleen baudelairien ? Non, mon ami n’est pas un dandy, même s’il rêve « d’intégrer le parnasse » et même si, lui aussi, dans son exil ici-bas, il a des ailes de géant qui l’empêchent de marcher.
Les vers fiévreux de Djaffar sont pleins d’amour et de générosité, ils disent aussi l’horreur de la reptation, le refus de jeter l’éponge, ils sentent fort la révolte, le refus de s’arrimer à l’appareil de la rime, détrompez-vous, n’est ici que la chausse-trappe qui masque la bouche du volcan, un Stromboli coupé de lui-même qui, envers et contre tout, fait la nique à l’air du temps. Toutefois la poésie de Djaffar n’est pas un exercice cathartique, tant s’en faut, c’est surtout le témoin gêné et gênant qui nous surprend en plein flagrant délit de renoncement à soi ! C’est le domaine de la coupure, du déchirement, de la recherche angoissé, celle de l’homme coupé de lui-même et ne se retrouvant plus de ce qui est jugé politiquement, économiquement, socialement correct. A ce titre, Djaffar nous confie que l’écrivain, ni Prométhée, ni le roi des cons, c’est d’abord un homme malade, déchiré de son écriture, qui rejette la facilité, ne pourra être que chaotique, ambiguë, tumultueuse. Il ne s’agit pas d’ésotérisme, ceci est constitutif de l’œuvre d’art quand la naissance d’un écrit est une renaissance, le sens reste toujours à découvrir. Et puis, peut-on parler de sens étriqué lorsque la beauté et l’infini transpirent au travers des lignes, Djaffar c’est tout ça et c’est trop peu. C’est surtout le parfum d’une enfance, pauvre mais géniale, où nous pouvions vivre sans nous regarder en chien de faïence et c’est encore, heureusement, la promesse que nous pouvons vivre sans nous tourner le dos.
Salut, vieux frère et, du haut de Beni-Yenni, continue à nous ciseler tes bijoux.